Règlement CE 261/2004 : vers une révision dictée par les lobbys aériens ?


À plusieurs titres, je pense être légitimement concerné pour apporter mon grain de sel à l’article publié par La Quotidienne le 10 juin dernier, intitulé : « L’Union européenne a décidé de relancer la révision des droits des passagers aériens car les règles sont désormais obsolètes et toujours très complexes. »

Cet article me semble directement inspiré par les transporteurs aériens. Car dès qu’il est question de « renforcement nécessaire des droits », il s’appuie exclusivement sur les exemptions de compensation. Jamais sur l’affirmation des droits des passagers. Ce n’est donc pas un renforcement, mais un recul maquillé.

Un texte majeur… à raboter ?

Le règlement CE 261/2004 fête ses 21 ans — l’âge de la majorité, autrefois.

Certes, une mise à jour pour le rendre plus lisible et accessible aux non-initiés serait bienvenue.

Les nombreuses jurisprudences ont enrichi le texte initial au point de le rendre complexe pour les béotiens.

Mais complexité ne veut pas dire illégitimité.

Ce que l’on nous présente comme une réforme serait, en réalité, une entreprise de démolition partielle.

Car ne nous trompons pas : si l’Union européenne se penche à nouveau sur ce texte, c’est sous la pression d’un lobbying actif des compagnies aériennes, qui depuis toujours
combattent un règlement les contraignant à assumer leurs responsabilités envers les passagers.

Une histoire de gros sous, pas de justice

Les contentieux autour des « circonstances extraordinaires » évoluent au fil des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Ce caractère évolutif est normal dans tout cadre juridique.

Ce que veulent les compagnies aériennes, ce n’est pas la clarté. C’est l’opacité organisée. Car moins les passagers comprennent leurs droits, moins ils réclament.

Et puis, soyons clairs :
D’après le Centre Européen des Consommateurs, seulement 10 à 20 % des passagers éligibles réclament une indemnisation.

Pourquoi ?
Parce que les passagers ne sont pas informés et découragés par des procédures administratives complexes.

Ou pire, découragés activement via des subterfuges dignes des meilleurs cabinets de communication de crise.

Un système volontairement grippé

La procédure d’indemnisation ? Un parcours du combattant.

Les formulaires en ligne sur les sites des compagnies sont souvent de vrais cimetières numériques, conçus pour faire disparaître les réclamations dans un vortex administratif.

Dans bien des cas, l’action en justice est le seul moyen de faire respecter les droits des passagers.

Les données sont rares, imprécises, non centralisées.

Et l’Union européenne ne dispose d’aucun organisme de contrôle digne de ce nom pour faire appliquer un texte aussi fondamental.

Même en France, la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC), censée veiller au grain, brille par son inertie.

Un reporting européen absent… et indispensable

L’Union européenne serait bien inspirée de créer un système de reporting centralisé :
 nombre d’annulations,  retards,
 surréservations,  et surtout taux effectifs d’indemnisation.

Aujourd’hui, aucune donnée agrégée n’existe.

Et le silence des institutions laisse la place aux compagnies aériennes pour tordre le bras du droit européen à leur convenance.

Quelle Europe voulons-nous ?

L’Union européenne se plaît à rappeler que :
« L’action de la Communauté européenne dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. »

Très beau sur le papier. Dans les faits, c’est une profession de foi sans foi ni loi.

Le règlement CE n° 261/2004, censé équilibrer les rapports entre consommateurs et professionnels, est désormais totalement dévoyé.

Et aujourd’hui, ce sont les transporteurs eux-mêmes qui décident de la façon dont ce texte devrait être… durci ? Simplifié ? Allégé ? Tout sauf respecté.

Des solutions simples, concrètes, mais ignorées

Voici quelques mesures de bon sens que l’UE pourrait imposer immédiatement, sans même réécrire le règlement :

1. Informer clairement les passagers de leurs droits

 L’article 14 impose une affichage visible des droits des passagers au départ des vols.

Avez-vous déjà vu une telle affiche dans un aéroport européen ? Nous non plus.

Cette obligation devrait être étendue à la réservation en ligne, sur le site du transporteur, sans exception.

2. Fournir une attestation écrite en cas de dysfonctionnement

 En cas d’annulation, retard ou surréservation, la compagnie doit remettre une attestation expliquant clairement les raisons de l’incident.

Pas une réponse automatique impersonnelle, mais un document circonstancié.

3. Créer un accès numérique aux incidents

 Chaque passager concerné par un incident devrait avoir un accès en ligne aux données le concernant :

date, numéro de vol, motif exact du dysfonctionnement, responsabilité établie, droits associés.

Conclusion : les hors-la-loi ne sont pas ceux qu’on croit

Aujourd’hui, les trois quarts des passagers ignorent leurs droits.

Pendant ce temps, les transporteurs aériens continuent de se présenter en victimes économiques, alors qu’ils agissent en hors-la-loi.

L’Europe ne doit pas céder à la pression d’un secteur qui a trop longtemps échappé à la régulation.

Il ne faut pas affaiblir le règlement CE 261/2004. Il faut enfin l’appliquer.

François Teyssier





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