C’était pas du cinoche !


Moi, Jérémie Richeplan, conducteur d’autocar de grand tourisme… avoue n’avoir jamais été inspiré par les élections, étant la plupart du temps dans mes petits souliers pour sillonner contrées et paysages, pendant que d’autres s’activent en campagne avec leurs gros sabots !

PR – « Jérémie, justement… pourrais-tu nous conter l’une de tes premières aventures, à l’occasion de l’un de tes premiers voyages, pour nous éclairer sur les attentes des voyageurs à l’époque, sur les émotions qu’ils recherchaient ? Tu pourrais faire çà pour nous ?… »

JR – Pas de problème, Philippe, sur le sujet, je suis intarissable… Au risque de fatiguer encore nos lecteurs (?…)

PR – Allez, on verra bien, lâche toi à la débottée sans réfléchir, vas-y !

JR – Ok, je me lance… C’est en sortant, il y a quelques jours, de la projection de « Ida », film magnifique en noir et blanc, que l’un de mes vieux souvenirs a soudain émergé. L’histoire du film se déroule dans la Pologne des années 60 et dès les premières images, tu me croiras si tu veux, je me suis brutalement retrouvé au volant de mon petit Mercedes O 321 H (construit en 1959), traversant l’Allemagne de l’Est avec une pétoche au ventre comme je ne t’explique même pas…

Et là, c’était pas du cinoch, c’était du vécu véritable… pour comprendre les choses et les mettre dans leur contexte, il faut imaginer un petit bout de jeune homme de 21 ans, qui se trouve embarqué dans une expédition dans laquelle il tient le premier rôle.

Il est placé aux commandes d’un car que tu n’imaginerais même pas, bien qu’assez beau pour l’époque, mais doté d’un minuscule moteur poussif, d’une direction assistée à l’huile de coude, d’une suspension à ressorts rembourrée « noyaux de pêches », d’une étroite visibilité au travers de voussoirs, de vitrages et pare-brises dérisoires, d’une galerie sur le toit pour les bagages… Je ne sais même pas si tu peux imaginer le tableau.

Destination : Stockholm, avec une traversée complète de l’Allemagne Fédérale de l’ouest puis de la République Démocratique Allemande. A « mon » bord, une équipe de jeunes voyageurs équipés de volumineux bagages… Durée du périple : 16 jours… Les sièges arrière avaient été prudemment démontés pour caser tout ce barda et installer une petite table de jeu…

Il faut avouer qu’ils n’étaient pas compliqués ces pèlerins, plutôt vachement conciliants même… De futurs ingénieurs d’une électronique naissante qui avaient décidé d’organiser « le » voyage de fin d’études, projet hors normes pour l’époque… Ces aventuriers en devenir voulaient fouler du pied les terres socialistes… Découvrir par eux même le monde idyllique sous sa forme soviétisée, et se faire une idée des effets politiques d’un socialisme à la suédoise… Pas déçus, les mecs !

Dieu merci, un jeune alsacien fut précieusement nommé au poste de traducteur en terres germaniques, alors qu’un second, d’origine suédoise, fut désigné interprète d’office pour les traductions en terres vikings…

Leur professeur principal était l’invité d’honneur… à peine plus âgé qu’eux (et que moi d’ailleurs), il s’était beaucoup investi dans l’élaboration du périple. Ses élèves l’avaient affublé du patronyme flatteur de Béru, l’improbable personnage immortalisé par Frédéric Dard !…

Ces jeunes intellos avaient décelé une adéquation parfaite entre les apparences physique et intellectuelle des deux personnages, ce qui les avait autorisés à rebaptiser de ce surnom délicat ce bougre de brave homme, un type aussi sympa, enveloppé… que barbu et, pour tout dire, un rien négligé.

Avec du recul, et en ajoutant à son portrait un côté délicatement ronchon, on aurait pu le destiner d’office à une grande et belle carrière de soixante-huitard.

Parlons un peu de l’itinéraire et du contenu du voyage : la première étape se situait dans les vignobles du Palatinat et le voyage devait commencer par une petite fête du vin blanc organisée dans une ville jumelle, au bénéfice d’une mode toute neuve de réconciliation franco-germanique !

La fiesta fut à la hauteur de toutes les comprenettes vachement nettes entre garçons et filles, les effluves du vin blanc ayant évincé progressivement toutes les barrières de langages et les règles élémentaires de rapprochement des peuples.

C’est dans ce contexte qu’en pleine nuit, sur le chemin du retour choisi pour rejoindre leur hébergement en auberge de jeunesse, le copilote, probablement handicapé par quelques vertiges euphorisés, me dirigea malgré lui sur un terrain beaucoup trop meuble pour le poids du car… Et boum, ce fut le préambule du festival des impondérables !

Cette joyeuse équipe venait d’inventer une excellente méthode de dégrisement collectif, car c’est en poussant, soufflant, et pestant qu’ils réussirent à conjuguer leurs puissantes, mais vacillantes musculations pour sortir le véhicule de cette embuscade. C’est au prix d’efforts soutenus que la situation fut maîtrisée, avec pour récompense des frusques et godillots généreusement trempés et crottés. Ah Béru… n’as tu plus jamais oublié ta boussole depuis lors !

Après une autre journée amicale de visite de la petite agglomération, suivie d’une belle nuit de repos, les choses sérieuses ont commencé… l’objectif était de traverser tout le territoire allemand scindé en deux depuis la fin de la guerre. Nous devions d’abord parcourir ces plaines et ces villes d’une République Fédérale en pleine renaissance, en circulant sur des autoroutes décemment remises en état, pour rejoindre par la suite un axe nettement moins confortable, couloir bordé de barbelés et d’avenants miradors qui nous dirigeaient tout droit aux postes de passages frontières des zones occupées…

Jérémie Richeplan

(à suivre : Berlin et la RDA)

Un post-scriptum un peu décalé du sujet, mais d’une rafraichissante actualité :

Face à la scandaleuse et révoltante gabegie dénoncée très clairement par la Cour des Comptes de nos deux transporteurs nationaux, colosses semant à tous vents des titres de transports gracieux, j’ai été particulièrement sensible à la solidarité des chroniqueurs de presse qui se sont emparés du sujet avec une redoutable véhémence.

Leurs révoltes et leurs propos m’ont bouleversé… car j’étais jusqu’alors intimement persuadé que cette profession bénéficiait, elle aussi, de maints avantages sous forme de gratuités de transports, d’hébergement ou de pension par exemple…

Cette profusion médiatique de condamnations me rassure et je tiens ici à les remercier vivement pour m’avoir tranquillisé sur le sujet.

Jean Pierre Michel





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