La Tunisie, la magnifique perdante du tourisme cet été ?


Pour tous les professionnels du tourisme, la Tunisie reste une destination importante. Avant la Révolution de Jasmin, le pays accueillait ainsi 7 millions de touristes. Il est donc intéressant d’écouter un professionnel spécialiste et passionné qui donne son point de vue sur la crise que nous vivons aujourd’hui. La Quotidienne donne la parole à Hakim Tounsi, le président du Tour opérateur Authentique, grand connaisseur des problématiques et des enjeux économiques du tourisme actuel. 

La Quotidienne : Quelles sont les mesures d’économies prises par Authentique Voyages pendant cette période de pandémie ?

Hakim Toumsi  : Prise de congés pour certains et mise en chômage partiel pour d’autres, pour les mois d’avril et mai.

LQ : Comment comptez-vous relancer votre affaire dès que les agences pourront commercialiser des produits à l’étranger ?

HT : Nous reprogrammons les départs qui n’ont pas pu être effectués du fait de la pandémie. Ces reports seront réalisés sur l’arrière-saison 2020 dans la mesure du possible ou en 2021.

LQ : Quelles ont été les mesures prises par la Tunisie pour protéger sa population ?

HT : La Tunisie avec plus de 11 millions d’habitants n’a pas été très touchée par la pandémie du Covid-19 avec au 02 mai 1013 cas confirmés et 42 décès déplorés. Sur les 24 régions administratives que compte le pays, seules 9 d’entre elles ont déclaré des cas de contamination par le virus dont seulement 6 qui ont déclaré des décès rattachés au virus du Covid.

La majorité des cas dénombrés l’ont été dans l’agglomération de la capitale Tunis, tandis que dans les régions Monastir, Gafsa ou Kébili aucun cas de Covid-19 n’a été signalé.

Malgré cette faible contamination, la Tunisie a pris des mesures :
1 – la suspension de tous les vols commerciaux en provenance et à destination du pays ainsi que la fermeture des frontières terrestres, aériennes et maritimes à compter du 18 mars 2020
2 – l’auto-isolement de 14 jours obligatoire pour tous les voyageurs arrivant en Tunisie.
3 – le confinement général dans tout le pays avec un déconfinement progressif entamé le 04 mai
4 – un couvre-feu est en vigueur de 20 h à 6 h.

LQ : L’impact du manque de touristes en Tunisie va durement toucher le pays. Quelles sont les mesures pour aider les professionnels du tourisme ?

HT : Épuisé économiquement et financièrement par 10 années d’instabilité après la révolution de 2011, le gouvernement Tunisien, mis en place début mars 2020, a eu d’emblée à gérer une grave crise et peine à trouver ses marques ainsi que les moyens pour venir en aide à son économie.

Le Ministère tunisien du Tourisme a participé aux négociations avec les syndicats d’un accord pour le paiement par les employeurs de 65 % des salaires des mois de mars et avril avec un complément de 200 dinars (65€) alloués par l’Etat. Les mêmes 200 dinars ont été attribués aux salariés indépendants.

L’Etat a promis le report des charges sociales et fiscales ainsi que l’octroi de sa garantie pour des prêts bancaires spécifiques Covid pour tous les secteurs, une mesure qui tarde malheureusement à se mettre en place.

LQ : Est-ce que certains hôteliers ont lancé des mesures afin de garantir plus l’hygiène et d’améliorer les conditions sanitaires ? C’est un point souvent soulevé par les réclamations clients.

HT : Avec un secteur très important pour le pays qui pèse 10% de son PIB, le Ministère tunisien du tourisme a constitué dès le début de la crise, un comité composé de professionnels, qui a travaillé sur un protocole sanitaire spécialement pour le secteur du tourisme dans tout le pays couvrant les frontières aéroportuaires, maritimes et terrestres, les transports intérieurs, les hôtels, les maisons d’hôtes, les restaurants etc…

La Tunisie, naturellement peu touchée par la pandémie, est en phase de mettre en place un protocole sanitaire performant pour être l’une des destinations les plus « COVID Safe » au monde.

LQ : Croyez-vous à des changements de comportements pour l’après Covid ?

HT : Oui, dans tous les cas juste après la pandémie, car les gens oublient vite aussi, les voyages de masse seront évités pendant un certain temps au profit de voyages plus personnalisés où la sécurité sanitaire sera l’un des premiers facteurs dans le choix des destinations et des produits. Les agences de voyages vont sûrement être plébiscitées par les clients. Je crois également que notre secteur risque de perdre quelques opérateurs qui n’arriveront pas à obtenir des emprunts ou à recapitaliser leurs entreprises.

LQ : Quelles sont les mesures pour relancer le tourisme dans le pays et notamment les groupes ?

HT : Chez Authentique nous sommes très sereins. Nous avons su nous adapter pour survivre à des crises majeures qui ont frappé le secteur du tourisme. Contrairement à d’autres confrères, nous avons connu la Révolution tunisienne en 2011, les attentats de 2015 et j’en passer ! Nous avons appris à gérer ces moments difficiles.

Nous avons aussi développé ces 5 dernières années de solides partenariats avec le monde du tourisme social et solidaire en France qui nous laisse confiants en notre avenir.

Tous les groupes qui devaient partir entre mars et juin ont été reportés sur l’arrière-saison et en 2021. Notre positionnement sur l’authenticité et la qualité des produits depuis la création de notre tour opérateur sera pour nous un atout majeur pour l’avenir.

LQ : Nous connaissons votre attachement à Tunisair, mais selon même le ministre du tourisme du Transport, il a admis une situation «catastrophique ». Selon vous, quelles peuvent être les mesures pour remettre à flot une compagnie bien malade ?

HT : Oui la crise du Covid-19 n’a pas arrangé la situation de Tunisair qui était déjà difficile. Je continue à penser, et la France vient de le confirmer en soutenant massivement sa compagnie nationale, que stratégiquement chaque pays doit avoir une compagnie nationale solide seule garante d’un service publique indispensable pour le transport des passagers et des marchandises notamment en cas de graves crises.

Tunisair sera soutenue et survivra. Il reste juste à définir la forme de ce soutien dans le cadre d’un programme d’assainissement et de restructuration générale de l’entreprise.

LQ : Air France- KLM va recevoir une aide de 10 milliards d’euros pour passer le cap et se relancer. Pensez-vous que ces aides vont remettre en question les règles de la concurrence (par rapport aux compagnies aériennes qui auront moins été aidées).

HT : Depuis tout temps le groupe Air France a eu des avantages face à ses concurrents du secteur privé. Bien évidemment que pour des raisons stratégiques, pour ne pas dire des raisons d’Etat, les règles de la concurrence risquent de ne pas être totalement respectées. Il faut faire confiance à la Commission Européenne chargée de ces dossiers pour que les compagnies privées aient droit aux mêmes aides que le groupe Air France- KLM.

LQ : Faut-il remettre en question l’opensky ?

HT : Non je ne le pense pas. Par contre je suis toujours pour une concurrence loyale, et contre l’hégémonie capitaliste qui veut que le plus puissant financièrement avale le plus faible car à ce jeu là les entreprises des pays du sud n’ont aucune chance de gagner un jour. L’OpenSky, comme toute la coopération Nord-Sud, devrait prendre en considération la nécessité des équilibres régionaux pour laisser aux entreprises des pays du Sud la place pour se développer et créer des emplois. Il est indispensable de stabiliser les populations là où elles sont.

Il convient d’éviter les développements inéquitables, générateurs d’un chômage excessif dans certaines régions du monde, de révoltes et de flux migratoires importants, réguliers et clandestins, des zones défavorisées vers les zones les plus riches du monde.

LQ : On a évoqué la réduction des salaires des expatriés (Tunisair – OT…) de 50 %. Vous pouvez confirmer ?

HT : Oui, la Direction Générale de Tunisair a décidé la réduction, jusqu’à nouvel ordre, de 50% des salaires de son personnel expatrié. J’ai dénoncé personnellement cette mesure prise unilatéralement par la Direction de la compagnie car elle me parait précipitée et excessive.

LQ : Que souhaitez-vous ajouter ?

HT : J’espère d’abord que nos amis de la distribution en France jouent pleinement le jeu et respectent l’esprit de l’ordonnance du 23 mars qui, pour aider tout le secteur, a prévu le report des réservations et non leur annulation.

Il ne faudrait pas qu’à la suite de l’émission de l’avoir pour le client que les TO essuient des annulations plutôt que des reports, avec changement de la destination initialement réservée.

Par ailleurs, nous aimerions que l’UE n’oublie pas ses partenaires économiques de la zone méditerranéenne MEDA, dont la Tunisie, lors de la programmation du périmètre et des conditions du déconfinement.

La Tunisie n’a pratiquement pas été touchée par le Covid-19 pourquoi donc lui fermer les frontières Schengen cet été et exiger de ceux qui en reviendraient une quarantaine qui n’est pas demandée aux ressortissants européens fortement touchés par la pandémie.

Je rappelle que pour juillet-août prochains, la Tunisie a un potentiel de 300.000 entrées touristiques de sa diaspora résidente en Europe avec une recette potentielle de plus de 500 millions d’euros pour le pays.

Travaillons plutôt dans le cadre d’un comité d’experts pour définir un protocole sanitaire acceptable pour permettre à la Tunisie de les recevoir pour entamer le redémarrage de son économie et de son tourisme.

Propos recueillis par Serge Fabre





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