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Transport aérien : De la difficulté à faire bouger les lignes

Après le lancement d’ICAT, le « think tank » du transport aérien parrainé par APG, nous avons demandé au Président du BAR, Jean-Pierre Sauvage, de réagir à chaud. S’il rejoint les promoteurs d’ICAT sur l’analyse des faiblesses du transport aérien, il n’ignore pas non plus les écueils ou les difficultés qui les attendent.

La Quotidienne : Que pensez-vous de l’initiative d’APG qui vient de lancer ICAT, un « think tank » du transport aérien ?

Jean-Pierre Sauvage : Je ne peux pas avoir d’avis définitif sur le sujet, d’abord parce que je ne le connais que par l’article qui est paru dans vos colonnes et ensuite parce que c’est encore en phase de création.
Cela étant bien précisé, je ne peux qu’avoir des aprioris favorables, si toutefois ce « think Tank » permet de développer une approche plus transversale du transport aérien, une approche à la fois plus humaine et plus efficace économiquement.

jean pierre sauvage-président du BAR [1]Je partage l’idée que le transport aérien pâtit d’une dispersion, d’une atomisation et d’une fragmentation sectorielle de la réflexion. Il manque en effet d’une vision globale, à l’échelle de toute la chaîne valeur du transport aérien, et d’un poids susceptible de contenir les pressions exogènes qui le pénalise. Récemment, dans les Échos, Roger-Pol Droit, parlait de l’éclatement actuel de l’intelligence, de sa fragmentation où l’on trouve pléthore de spécialistes en tous genres mais personne pour faire la synthèse de cette masse « d’intelligence segmentée ». Le transport aérien a sans doute besoin aujourd’hui d’une plateforme d’échanges, de discussions, où tous les maillons de la chaîne de valeur peuvent s’exprimer. Cela étant, j’ai des doutes sur les moyens éventuels de « peser ».

L. Q. : Vous parlez de doutes ; quels sont pour vous les écueils dans lesquels il ne faut tomber

J.-P. S. : Tant qu’ICAT reste un « think tank », un réservoir d’idées, l’initiative a des chances de prendre racines. En revanche, il ne doit pas devenir un lobby de plus ; il en existe assez au plan national européen ou international, du genre IATA par exemple. Il ne doit pas leur faire concurrence non plus. ICAT doit surtout faire émerger de idées neuves sur tous les plans : opérationnel, commercial, réglementaire…

Il doit être un vivier mais en aucun cas, il ne peut agir à la place des décideurs et des entreprises. Il peut rassembler, étudier, imaginer et proposer mais certainement pas contraindre ou décider. Le transport aérien manque sans doute de « rêveurs lunaires », de personnages qui restent souvent dans l’ombre mais qui sont à la source des idées neuves. Cela n’a rien à voir avec des farfelus, mais plutôt avec des imaginatifs qui ont « les pieds sur terre », si j’ose dire en parlant de transport aérien.

Récemment lors d’un colloque organisé par la CCI de Paris, le Président d’ACCOR faisait la comparaison entre les deux économies, traditionnelle et « collaborative ». Pour lui le modèle traditionnel s’appuyait sur la connaissance accumulée mais mal partagée ; il était dans la « culture ». En face, le modèle « collaboratif » partage vite la connaissance et privilégie « la rupture ». Je crois que les « rêveurs lunaires » dont nous avons besoin doivent aussi être capables de transgression.

L. Q. : Dans le contexte actuel, il n’y a pas que des écueils…

J.-P. S. : Oh non ; il y a aussi des difficultés prévisibles. J’en vois trois principales. La première, c’est la divergence des intérêts entre les différents acteurs de la chaîne, d’autant plus qu’ils ne pèsent pas tous de la même façon et qu’ils ne sont pas rétribués de manière équivalente. Pensez au poids des compagnies aériennes en terme d’emplois et de rentabilité et comparez le avec celui des aéroports, ou de l’État qui gagne de tous les côtés : impôts sur les entreprises, taxe en tous genres etc.… La seconde, c’est assurément la mise en place du ciel européen. Ce n’est pas encore fait et ça constitue un frein au développement harmonieux du transport aérien. Ici, il faut sans doute « penser global » mais « agir local » aussi, et ce n’est pas aussi simple car les conditions d’exploitations sont extrêmement disparates. Enfin, troisième difficulté, sans doute la plus lourde, ce sont les réglementations. Je n’irai pas dire que le transport aérien en est victime, mais elles constituent un carcan dont il est très compliqué de sortir, que ce soit au plan national ou international.

Isolément, chaque acteur de la chaîne de valeur est confronté à ces trois difficultés mais bien peu ont conscience qu’une approche globale, qu’elle soit réellement nécessaire ou simplement pertinente, pourrait produire des bénéfices concrets pour chacun d’eux.

L. Q. : Quels pourraient être les premiers succès susceptibles de donner à ICATS le crédit indispensable ?

J.-P. S. : Je ne saurais m’avancer à ce propos ; je ne connais trop peu le projet d’APG. En revanche, si par leur initiative, ils arrivent à réunir largement les acteurs du transport aérien, à les faire parler ensemble quelles que soient leurs divergences d’intérêt, ce sera déjà une belle victoire. Ce consensus délicat, à mon sens, doit surtout faire comprendre au public et aux autorités l’importance du transport aérien dans l’économie nationale et/ou internationale. Ce serait une victoire plus belle encore pour un ICAT à peine éclos.

Juste quelques chiffres : 35 % de la valeur des échanges commerciaux passent par le transport aérien. Au niveau mondial le transport aérien représente 52 M d’emplois et génère 2 200 Mds $, soit le PIB de la France ; il est aussi le vecteur de transport pour 50 % du tourisme international. Pour notre pays, les 78 000 emplois directs des compagnies aériennes entraînent 700 000 emplois indirects auxquels il faut encore ajouter les 220 000 emplois de la construction aéronautique. Sur les 150 Mds de recettes touristiques, un tiers nous vient du tourisme international auquel contribue en première ligne le transport aérien. Pour qu’on puisse vraiment, et sereinement surtout, discuter du transport aérien, il faut que toutes les parties invitées à la réflexion d’ICAT prennent enfin conscience de son poids économique. C’est dans l’intérêt général.

Propos recueillis par Bertrand Figuier