C’est une constante dans le transport aérien depuis que les compagnies aériennes ont accepté de coopérer en échangeant leurs billets au travers des accords « Interline » qui datent de 1948 si ma mémoire est bonne.
Mais depuis que ce secteur d’activité est entré dans le monde concurrentiel, les compagnies se rapprochent les unes des autres non seulement par des accords, mais surtout par des prises de participation et, voire même, des rachats.
C’est ainsi que d’énormes ensembles se sont créés, d’abord aux Etats Unis avec l’émergence de trois gigantesques groupes : American Airlines, Delta Air Lines et United Airlines.
L’Europe a suivi le même chemin et le Lufthansa Group, IAG et Air France/KLM ont été créés au début des années 2000.
La même stratégie se poursuit en Afrique avec la main mise par Ethiopian Airlines sur des compagnies en difficulté au Togo, Congo Kinshasa, et peut-être en Tanzanie.
L’Asie arrive avec le rachat d’Asiana par Korean Air ou la fusion des transporteurs indiens Air India et Vistara.
Tout le monde s’y met et même les compagnies étatiques restantes font le même mouvement :
ITA Airways a été récupérée par le groupe Lufthansa, SAS passe progressivement dans l’orbite d’Air France/KLM et TAP Air Portugal recherche un repreneur. Mais est-ce aussi profitable ?
Pourquoi des transporteurs profitables ou en passe de l’être se précipitent-ils dans les bras d’un groupe déjà constitué.
En d’autres termes, pourquoi l’Etat Italien a-t-il vendu ITA Airways à Lufthansa et pourquoi TAP Air Portugal veut-elle trouver un repreneur ?
Que je sache l’un et l’autre de ces opérateurs sont de taille raisonnable.
ITA Airways opère 101 appareils, dessert 70 destinations et réalise 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires et TAP Air Portugal possède un vaste réseau de 94 escales desservies par une centaine d’appareils, réalise un chiffre d’affaires de plus de 4 milliards d’euros et dégage du profit depuis plus de 2 ans après une restructuration difficile.
En quoi des transporteurs de bonne taille, très représentatifs de leurs pays respectifs, ont-ils à gagner à se fondre dans un ensemble multinational et multiculturel très vaste.
Bien sûr certaines opportunités ont été offertes vers la fin des années 2010 lorsque des compagnies un peu fragiles économiquement, victimes parfois d’une gestion peu efficace, ont dû déposer leur bilan.
C’est ainsi que les compagnies nationales suisses ou belges sont entrées dans le giron allemand.
Les pays y ont perdu un outil diplomatique et un vecteur d’image important et la stratégie obéit aux impératifs du pays acheteur.
Certes les Etats vendeurs pensent garder la main sur leurs ex-compagnies nationales en restant actionnaires, mais dans la réalité ils ne peuvent plus influencer l’avenir des compagnies.
Les rapprochements entre transporteurs ont un premier avantage : la coordination des programmes d’exploitation entre partenaires permet de sérieux gains opérationnels et économiques, mais cela ne dure qu’un temps.
Une fois la réorganisation des réseaux passés, les frustrations commencent.
La compagnie absorbée devra modifier son système informatique pour le rendre compatible avec l’acheteur et ce n’est pas une mince affaire, elle sera obligée de changer ses alliances pour rejoindre celles du groupe acquéreur, et elle devra se soumettre à ses règles de gestion.
Comment alors garder sa propre culture, celle dans laquelle elle a été construite ?
On me dit que les fusions sont indispensables et qu’un transporteur de taille moyenne, comme ceux que je viens d’évoquer n’ont pas de chance d’exister seuls. La question mérite d’être examinée.
Les accords commerciaux entre les transporteurs ne sont pas nouveaux et il est fréquent d’utiliser les fameux « code share » pour compléter un réseau, bien que je considère cette pratique comme à la limite de l’acceptable pour les clients qui, croyant acheter un produit, en consomment finalement un autre parfois très différent.
Et puis la fusion entraine une multiplication des réunions d’organisation lesquelles ne sont pas toujours compatibles avec les économies de temps et la bonne utilisation du personnel dirigeant.
Enfin il est toujours possible maintenant à chaque transporteur de se distribuer dans l’ensemble des pays de la planète en utilisant les outils et les sociétés spécialisées à leur disposition, le tout à des coûts variables.
Rappelons pour terminer que la consolidation américaine ne s’est pas faite sans dégâts.
Après avoir absorbé toutes les petits et moyens opérateurs les trois géants dont j’ai parlé ont tous déposé leur bilan.
La même histoire s’est d’ailleurs produite par le passé avec le SR Group qui après avoir acheté tout ce qui était sur le marché a dû être liquidé, et plus proche de nous Etihad Airways a connu la même mésaventure et l’opérateur émirati ne s’en est sorti que d’extrême justesse.
Il n’est pas nécessaire d’être gros pour être beau et la liberté a aussi un prix.
Jean-Louis Baroux