Comment qualifier autrement la lutte que se livrent les constructeurs d’avions ? Je ne parle pas seulement d’Airbus et de Boeing, mais des motoristes, des équipementiers et des nouveaux arrivants, chinois en particulier, sans oublier Embraer voire ATR.
Les chiffres publiés par le cabinet ID Aero dont les analyses font autorité, donnent un peu le tournis.
L’enjeu est de taille. Les montants sont tellement importants qu’il est difficile de se les représenter.
Allez, entrons dans les grands nombres. On estime qu’actuellement 26.750 appareils sont en service commercial dans le monde.
Les constructeurs, Boeing en particulier, chiffrent à 50.000 les flottes du transport aérien à l’horizon 2044, c’est dans moins de 20 ans et cela correspond à un doublement du nombre d’avions.
Mais ce n’est pas tout, la taille moyenne des appareils augmente régulièrement.
Elle est passée de 50 sièges dans les années 1950 à 100 sièges 20 ans plus tard et à 200 sièges maintenant. Et les appareils volent de plus en plus loin.
Gardons également en tête que le prix moyen d’un appareil commercial est de l’ordre de 100 millions de dollars.

Tout ceci étant très approximatif car entre le prix catalogue et le montant réellement payé par les acquéreurs il y a une énorme différence, laquelle se fait non seulement sur les cellules, mais également les moteurs.
Alors dans ce contexte, les deux géants sont bien évidemment Airbus et Boeing.
Ce dernier a mis un genou à terre à la suite de décisions purement désastreuses qui ont, pendant les dernières années, consisté à privilégier le cours de bourse en abandonnant la vocation de l’entreprise.
Le prix à payer a été colossal avec à la clef 2 accidents mortels causant la mort de près de 300 passagers, sans compter un grand nombre d’autres incidents qui auraient pu augmenter ce nombre.
Notons d’ailleurs que Boeing vient d’être condamné à payer 28 millions de dollars à des ayants droits d’une victime de l’accident d’Ethiopian Airlines.
Il faut souhaiter pour le constructeur que cela ne fasse pas boule de neige.
La nouvelle direction du géant américain menée par Kelly Ortberg, un ingénieur et pas un financier, a repris le bon chemin.
A fin octobre, Airbus avait encore 8.698 appareils en commande et Boeing 6.534, et le montant va encore augmenter pour les deux protagonistes à la suite du Dubaï Air Show.
A 100 millions de dollars l’unité les chiffres de vente donnent le vertige, c’est plus de 1.500 milliards de dollars, autant dire 1 fois et demie la totalité du chiffre d’affaires du transport aérien 2025.
L’affaire est d’autant plus intéressante entre les deux constructeurs qu’ils ont des offres en compétition frontale : le B737 MAX pour l’un et l’A320 pour l’autre dans la catégorie moyens courriers et l’A350 en face du B777X pour les très gros porteurs.
Les caractéristiques sont à peu près identiques, sauf qu’Airbus a un gros avantage avec l’A350 déjà depuis longtemps sur le marché alors que le B777X n’est pas encore certifié et qu’il n’aura pas loin de 15 années de retard sur son concurrent lorsqu’il sera mis en service.
Et la bagarre ne s’arrête pas là. Les motoristes détiennent une importante partie des forces en présence.
Trois d’entre eux sont en lice : Rolls-Royce qui s’est spécialisé dans les très gros moteurs, est talonné par GE qui développe un engin encore plus gros par équiper les B 777X.
La lutte est également sévère pour ce qui concerne les plus petits moteurs. Les prix sont aussi énormes : un très gros moteur peut coûter plus de 40 millions de dollars. Alors souvent les motoristes font des offres à la location.
Pour les plus petits moteurs qui équipent les moyens courriers le tarif de location est de l’ordre de 200.000 € par mois.
Le français Safran allié à General Electric est devenu un fournisseur majeur dans cette catégorie avec l’américain Pratt & Whitney.
Et puis il faut également compter sur les grands équipementiers comme le français Thales ou l’américain Rockwell Collins.
Pour eux également le champ de concurrence est mondial, chaque contrat est très rémunérateur et leur chiffre d’affaires est de l’ordre d’un grand groupe de compagnies aériennes.
Pour les plus petits porteurs l’horizon s’est éclairci. Bombardier a été racheté par Airbus et Embraer après avoir vécu un moment difficile pendant le Covid a développe une gamme d’appareils de moins de 100 sièges, très performante, de sorte que le constructeur brésilien a abandonné son projet de turbopropulseurs laissant ATR seul sur cette niche de marché
Les Chinois avec le constructeur COMAC commencent sérieusement à pointer leur nez même en dehors de la Chine en plaçant leurs premiers appareils en dehors de leurs frontières chez Lao Airlines.
Largement soutenus par leur gouvernement, il serait surprenant de ne pas les voir arriver en force dans le continent africain.
Le marché est gigantesque, les opérateurs peu nombreux, la lutte promet d’être farouche.
Jean-Louis Baroux