Un décret publié le 5 août 2025 par le Conseil d’État, section de l’intérieur, réduit drastiquement les moyens de recours des passagers aériens en France. À compter du 7 février 2027, les règles applicables en matière d’indemnisation prévues par le règlement (CE) n° 261/2006 seront contournées par des procédures nouvelles qui complexifient et renchérissent l’accès à la justice pour les voyageurs dont les vols sont annulés, retardés ou en cas de refus d’embarquement.
Contexte et objectif affiché
Le texte a pour ambition explicite de diminuer le nombre de recours massifs dirigés contre les compagnies aériennes et d’alléger la charge des juridictions françaises.
Traduction pratique : prioriser la fluidité des tribunaux au détriment de l’efficacité des droits des consommateurs.
Nouveautés procédurales majeures
Médiation préalable obligatoire : tout passager devra saisir Médiation Tourisme Voyage (MTV) après avoir d’abord réclamé auprès du transporteur, procédure qui engage déjà un délai de réponse du transporteur d’environ 60 jours.
MTV dispose ensuite de 90 jours pour rendre un avis non contraignant judiciairement.
Condition à l’action judiciaire : en cas d’échec de la médiation, l’ouverture d’une action en justice reste possible mais encadrée de façon dissuasive.
Assignation par huissier obligatoire : le recours gratuit devant les juridictions de proximité est supprimé ; une assignation délivrée par un commissaire (huissier) devient obligatoire, générant des frais souvent supérieurs à 200 € à la charge du passager.
Restriction drastique des recours collectifs : les actions groupées ne seront plus permises sauf entre personnes liées par des liens familiaux (jusqu’au 4ème degré), conjoints, partenaires de PACS ou concubins.
Les recours portés par des plateformes de recouvrement ou des associations de consommateurs sont explicitement exclus.
Conséquences pratiques pour les passagers :
Procédures plus longues : délai supplémentaire d’instruction lié à la médiation puis aux formalités d’assignation.
Coût d’accès à la justice augmenté : frais d’huissier obligatoires et impossibilité de mutualiser les coûts via actions collectives ou plateformes.
Affaiblissement des recours collectifs : dispersion des dossiers, perte d’efficacité des litiges de masse qui forçaient les compagnies à rendre des comptes.
Avantage net pour les transporteurs : diminution probable du nombre de plaintes effectives et donc réduction des risques financiers pour les compagnies au détriment des droits individuels.
Portée juridique et lecture critique
Le décret apparaît comme une manœuvre visant à « désengorger » la justice en transférant le coût et la complexité des recours sur les consommateurs.
En pratique, il transforme un droit collectif effectif en une série d’obstacles administratifs et financiers qui décourageront la plupart des passagers de demander réparation.
L’allégation d’harmonisation procédurale ne saurait masquer la réalité : il s’agit d’une réduction ciblée des moyens d’action des consommateurs, en contradiction avec l’esprit protecteur du droit européen en matière de passagers.
Conclusion
Le Décret 776/2025 réécrit les règles du jeu à sens unique : moins de recours, plus de barrières, plus d’économies pour les transporteurs.
Les passagers français se voient contraints de supporter coûts et complications pour obtenir ce qui était auparavant un droit accessible.
Chacun jugera si l’« allègement des tribunaux » vaut la peine d’un tel reniement des protections collectives.
François Teyssier