Vers la fin du Tourisme à la Papa ?


Il faut toujours faire attention avec la provocation. Parfois, elle est aussi dépassée que ce qu’elle attaque et son seul effet, après le sourire convenu qu’elle appelle, c’est de laisser tout le monde sur sa faim.

Récemment encore, lors de l’Assemblée Générale du BAR, j’ai entendu annoncer la « fin du monde », ou du moins « l’heure de vérité » pour tous les professionnels du voyage, TO, agences, en ligne ou traditionnelles, compagnies aériennes, hôteliers …

Où, pour un secteur économique tout entier, la chronique d’une mort proche ; lente, mais certaine… À moins de répondre judicieusement, à grand coup de valeur ajoutée et de services adaptés, à quelques questions simples : « à quoi je sers ? » « Pourquoi le client vient-il vers moi ? » « Comment me différencier ? »

Et surtout : « comment éviter d’être copié ?! »

Je suis absolument d’accord avec ce point de vue. Mais ça fait des années que je l’entends développer, et je vois surtout une « course à la mer » ou chacun ajoute du service, du petit plus jusqu’à la personnalisation absolue, grâce à la « technologie moderne », et sans jamais restaurer les marges ni freiner la baisse des prix.

Là je te mets le wifi gratuit, ici une bouteille de champagne, ailleurs un sur-classement, une « exclusivité », une île privée… Regardez les Premières classes les plus récentes !

Bref, dans le luxe, cette course devient folle, alourdit les investissement et les amortissements, pousse le consommateur à en demander toujours plus et condamne le producteur à banaliser

Dans le marché de masse, c’est la même course, mais avec une qualité qu’on dégrade discrètement, insensiblement, par palier, pour annoncer la même promesse sans relever les prix.

A cet égard, le problème me semble mal posé. Depuis longtemps, depuis toujours finalement, la valeur ajoutée est au cœur des entreprises ; c’est leur première et leur seule justification. Il y a d’ailleurs une taxe dessus…

Aujourd’hui, la question est plus profonde. La crise, la géopolitique, les technologies et les mœurs du consommateur lambda ont bouleversé irrémédiablement le marché.

D’un côté, le clientèle entrée et milieu de gamme diminue tous les jours et le reliquat préfère se débrouiller tout seul pour échapper aux produits standard.

Grâce aux technologies, il les décortique à son aise et perturbe même le jeu des professionnels en favorisant « l’ubérisation » progressive de tous les services.

Cette tendance n’est pas un mouvement spontané des consommateurs, elle est le fruit de la désindustrialisation des pays développés qui réduit la classe moyenne, celle qui a fait les grandes heures du tourisme de masse.

Cela ne changera pas dans les années à venir, bien au contraire : à Davos, les élites politico-économiques n’ont-elles pas annoncé 5 M d’emplois en moins, volontairement sacrifiés sur l’autel de l’automatisation… Alstom ne va-t-elle pas licencier près de 800 personnes en dépit des promesses toutes récentes de General Electric et de M. Patrick Kron au Gouvernement français ?

D’un autre côté, la clientèle du luxe s’étoffe régulièrement depuis une dizaine d’année et c’est la seule qui peut encore rentrer dans le jeu traditionnel du marché et de cette course à la mer qui, en guise de « VA » et de personnalisation, offre aux client une pléiade toujours plus coûteuse de services dont ils ne se servent pas durant leur séjour.

Bien sûr, ils en exigent la disponibilité et se flattent ostensiblement de consommer les produits qui les proposent mais, la plupart du temps, ils ne s’en servent pas ou très peu.

Cela étant, cette clientèle a beau s’étoffer, elle restera structurellement minoritaire dans un monde où seuls les plus experts, les plus puissants ou les plus « mondialisés », auront un travail et un revenu régulier ; la grande majorité, en France, en Europe ou ailleurs, fixée à sa terre comme le serf d’autrefois, sera condamnée à la débrouille, aux petits jobs façon Uber…

Pour elle, le tourisme des années 70, « à la papa », commence déjà à être luxe.

Elle a de plus en plus de mal à suivre, d’où son attirance vers les promos qui « déchirent », au dernier moment forcément…

On peut bien sûr se référer aux chiffres rassurant de l’OMT qui voit le tourisme mondial croître indéfiniment. Sauf que ce sont des Chinois et des Indiens qui font le jeu… Des Russes aussi ; mais on fait tout pour que les exclure.

Or, si l’on en croit les médias et les experts économiques, la Chine par exemple, doit changer très vite son modèle de croissance si elle ne veut pas voir le nombre de ses milliardaires communistes fondre comme neige au soleil.

Vu la situation des pays développés, il est fini le temps ou « des esclaves fabriquent à bas coûts des produits destinés à des chômeurs » pour le plus grand bonheur de la nomenclatura locale.

En Chine, toujours, les salaires montent mais ne permettent pas encore de développer un marché intérieur capable de prendre le relai sur les exportations qui flanchent …

Résultat : les bourses chinoises s’effondrent de plus en plus et la fuite des capitaux internationaux a dépassé les 500 Mds $ en 2015 ; un record selon le Figaro !

Ne nous en réjouissons pas trop vite ; c’est trop brutal et ça ne fait pas nos affaires.

Si l’on ajoute à ce tableau inquiétant les questions de sécurité, dont le transport aérien, mais aussi les hôteliers, les musées, les restaurateurs ou les commerçants du genre Champs Elysées, vont mesurer toujours plus l’impact direct et indirect, il y a de grandes chances pour que les coûts de production s’alourdissent alors qu’à l’inverse, le plaisir de consommer du tourisme va dégringoler rapidement.

Pour ne parler que de la France, nous sommes en guerre, répètent nos gouvernants en mal de communication, et on laisse déjà entendre que l’État d’urgence durera jusqu’à la disparition de l’État Islamique…

Dans cet effet ciseaux, les destinations auront beau mettre une VA du tonnerre dans leur réceptif, vendre en direct ou multiplier les promos spectaculaires, elles auront du mal à mobiliser des consommateurs, locaux ou internationaux.

Alors oui, je crois que si « heure de vérité » il y a, elle n’est pas pour ceux qui n’ont pas de VA particulière, elle est bien plus générale que ça et concerne aussi bien les bons que les mauvais élèves du secteur touristique.

C’est le tourisme comme l’ont pensé et développé les pionniers, les FRAM, les Club Med et autres, qui doit évoluer, faire d’une autre manière et proposer autre chose.

De ce point de vue, il faut saluer l’audace de Safrans du Monde. Avec sa « croisière autour du monde 2016 », il part de la demande réelle d’une clientèle réduite mais haut de gamme et renverse complétement la proposition en construisant un produit unique, forfaitisé et tout compris, exclusivement destinée à sa petite cible, dont Guy Bigiaoui constate justement qu’elle gagne régulièrement en volume : oh rien de méchant ; juste quelques têtes en plus chaque année …

Ce faisant, le TO fait un double pari : celui d’avoir compris ce qu’attend le client et celui de penser qu’à tout prendre, ce client préfèrera qu’un pro fasse le boulot qu’il aurait du faire chez lui, à ses risques et périls, en face de son ordinateur.

Si ce « one shot » passe, Safran du Monde aura fait des grosses économies de marketing, ce qui est bon pour la marge ; il aura aussi renforcé sacrément sa notoriété auprès de sa clientèle naturelle.

Ce n’est qu’un exemple, une piste parmi d’autres, heureusement, mais elle montre bien, je le redis, que la valeur ajoutée, c’est souvent dans l’audace qu’on la trouve ; surtout dans les moments difficiles.

Songez au succès de « 4 roues sous un parapluie » dont on croise souvent les 2 CV dans les rues de Paris… Encore de l’audace… que l’APST avait d’ailleurs salué il y a une dizaine d’années…

Bertrand Figuier





    2 commentaires pour “Vers la fin du Tourisme à la Papa ?

    1. Comme quoi il est préférable d’aller chercher le client avec une offre complète et originale plutot que d’attendre le client et de lui proposer ce que tout le monde lui propose. Dans ce cas là son seul point de différenciation est le prix…
      regardez les TO chinois, Australiens, Américains, Canadiens et regardez leur offre : Paris, la French Riviera, les châteaux de la Loire, le vignoble bordelais, le ski à Courchevel….
      C’est à nous pro du tourisme réceptif d’attirer leur attention sur l’Auvergne, le Jura, le Périgord, les landes, le pays basque, et tant d’autres régions qui ne sont pas connues et identifiées par les émetteurs internationaux et par leurs clients…
      ENSEMBLE dans la French DMC Association, faisons entendre notre voix, montrons nos offres et nos richesses locales au monde entier..
      Hervé ROCLE http://www.lyonpicurien.com

    2. excellente analyse d’un secteur qui se « médiocrise », n’a guère d’innovation, pense que communiquer suffit, fonce vers le zéro voyage comme des moutons, confond la base de son activité avec consommation et effets de mode.

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